L’Iran est le pays de l’écriture cinématographique de grands talents. Si les films d’Abbas Kiarostami sont mondialement connus et ont porté à l’écran d’une façon poétique l’Iran grâce à des histoires toutes simples, toutes anodines, les cinéastes iraniens contemporains ne cessent de raconter les abus de pouvoir de leur pays pour dire leur réalité et celles des iraniens, ils nous prouvent qu’aucune censure au monde ne peut faire taire un artiste.
Mohammad Rasoulof et son pays
Après avoir été condamné de nombreuses fois à cause de ses films, au même moment et pour les mêmes motifs que son compatriote et non moins talentueux cinéaste Jafar Panahi, Mohammad Rasoulof suite à ce dernier film est condamné à huit ans de prison début mai 2024 en Iran. Le réalisateur quitte définitivement et discrètement son pays pour être au festival de Cannes où son film est sélectionné. Il y reçoit le Prix spécial du jury. Dans ce film thriller le réalisateur raconte l’histoire d’une famille sur fond de manifestations qui ont suivi la mort de Mahsa Amini, il y a deux ans, le 16 septembre 2022
Synopsis
Iman vient d’être promu juge d’instruction au tribunal révolutionnaire de Téhéran quand un immense mouvement de protestations populaires commence à secouer le pays. Dépassé par l’ampleur des évènements, il se confronte à l’absurdité d’un système et à ses injustices mais décide de s’y conformer. A la maison, ses deux filles, Rezvan et Sana, étudiantes, soutiennent le mouvement avec virulence, tandis que sa femme, Najmeh, tente de ménager les deux camps. La paranoïa envahit Iman lorsque son arme de service disparait mystérieusement…
La beauté de la narration
Les premières 20 minutes passées, nous comprenons que nous sommes en train de regarder un grand film. L’histoire toute simple d’un couple épris de réussite sociale se met en place sous nos yeux quand avec une grande aisance cinématographique la trame se met en place. Iman, promu nouvellement juge d’instruction, est face à un choix. Cette histoire qui semblait toute banale se transforme petit à petit en un thriller d’une grande force. L’Iran a donné naissance à de nombreux cinéastes talentueux et si la censure est importante c’est avec grand courage et talent qu’ils lui font face comme c’est le cas ici de Mohamed Rasoulof.
Le jeu d’acteur et la réalité
Les acteurs et actrices incarnent avec un grand naturel leurs personnages, sans faux ton, sans exagération. Les jeunes actrices et celle qui joue leur maman jouent à la perfection des femmes qui évoluent dans la sphère familiales où elles ne portent pas le voile, parlent et vivent comme n’importe quelle autre femme dans l’intimité, et puis une fois à l’extérieur elles obéissent aux lois et se parent de leur vêtement noir se fondant dans la masse. Il y a chez ces femmes une volonté de faire face à cette société en pleine révolution et en même temps une obligation à se tenir tranquilles, à être dociles pour sauver le statut social dans lequel elles vivent. Le réalisateur a choisi de raconter l’histoire d’un juge d’instruction père de deux jeunes filles en pleine adolescence dont l’une est étudiante. Si elles vivent dans l’innocence c’est parce qu’elles ignorent qui est vraiment leur père ni ce qu’il fait comme métier. Mais le jour où il est promu juge d’instruction tout change. Le film raconte une réalité, celle des émeutes suite à l’assassinat d’une jeune femme qui refuse de mettre son voile. Le pays se soulève !
La femme devient central
Si le père est celui qui a l’autorité dans la sphère privée, dans son nouveau rôle il ne fait qu’obéir. Ses filles et sa femme vont alors le mettre petit à petit face à son choix et il va devoir montrer son vrai visage, celui de l’administration étatique. Car si les femmes représentent cette liberté tant voulu et tant criée, l’homme lui ne fait que mettre en place ce qu’on lui demande de faire. Le statut de la femme est mis au centre de ce film. Tout se vit dans un jeu incroyablement subtil. Les acteurs et actrices suite à ce film subiront des interrogatoires similaires certainement à ceux mis en scène dans le film. La réalité rattrape souvent la fiction. Le réalisateur emprisonné déjà suite à son art savait certainement de quoi il parlait.
La mise en scène
Le film évolue en intérieur et dans un final assez symbolique. Les décors sont ceux de l’appartement d’une famille bourgeoise où tout est à sa place, où la famille vit à l’européenne, où les filles semblent libres où la maman est à leur petit soin et est instruite. Tout est mis en scène de façon à bien montrer que la famille se porte bien, que le couple est privilégié et que les filles sont l’égales de toute autre femme dans les sociétés occidentales jusqu’à ce que tout bascule… Le décor intérieur, les plats iraniens, le thé… les particularités iraniennes sont mises en avant, la culture iranienne est présente. Vers la fin du film, le décor de la maison de campagne, cossue ressemble finalement à n’importe quelle maison européenne ou française, jusqu’à ce qu’on découvre son passé, une histoire dans l’histoire. Nous voilà face à un pays qui semble pris entre un passé et un futur où la jeunesse et surtout les femmes se révoltent. Le décor de fin, une cité oubliée qui tombe en ruine, où le jeu de cache-cache nous parle symboliquement d’une poursuite entre la liberté et la censure, et qui apporte une note finale très forte. C’est la liberté qui l’emporte !
R.B.E
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