La noire de… Sembene

Un classique avec Mbissine Thérèse Diop

La noire de est un classique. Ousmane Sembene a reçu pour ce film le Tanit d’or en 1966.
Le film a été restauré par la cinémathèque de Bologne grâce à la fondation de Scorsese.
Ce petit bijou en plus d’être réussi esthétiquement est un film qui dénonce ce qu’on appelle aujourd’hui l’esclavage moderne.

Une domination racontée à la première personne

Ousmane Sembene met en scène d’une façon très simple une histoire coloniale. Une domination de classe et ethnique sur une jeune femme qui rêvait d’une France et qui se retrouve emprisonnée par ses patrons. L’histoire est construite en crescendo, on vit avec Johanna cette relation de pouvoir et de racisme, grâce à la voix off du personnage.
Cette narration à la première personne nous invite à prendre position pour Johanna. Elle nous raconte d’une façon intérieure ce qu’elle perçoit avec naïveté, fait de nous ses confidents.

L’argent contre la dignité

Si le film est d’actualité c’est justement parce que le néocolonialisme perdure et qu’il nous raconte ce lien de domination blanc-noir colonisé-colon qui a la peau dure ! Johana est jeune et jolie, elle est pourtant prise au piège du rêve de tout exilé, d’une France qu’elle ne verra jamais puisqu’elle ne sort jamais de l’appartement où ses maîtres l’emprisonnent. Elle les appelle Monsieur et Madame quand elle nous parle d’eux, ils sont ses maîtres et ses démons ! Ils oublient que l’argent n’achètera jamais la dignité.

La résistance de l’intérieur

Le rapport de classe est présent dans ce film qui montre bien à quel point ce couple, qui emprisonne celle qui de son plein gré laisse derrière elle son pays et son amour, est indigne de la confiance et de la beauté de la jeune Johana. Ils n’agissent que pour leur bon plaisir et sont confrontés finalement au refus de la jeune femme qui comprend la transformation de Monsieur et Madame mais pas les raisons. A aucun moment le film ne parle de racisme, ni de domination. On reste dans la naïveté de la jeune femme et de son rêve perdu ! Elle ne cherche même pas à fuir et lorsqu’elle finit par accepter la réalité elle met fin à ses jours.

Un film fait de symboles

Ce film est criant de vérité sur la relation décalée entre l’Afrique colonisée et les colons. La métaphore réside dans la naïveté de la jeune femme qui se cogne au manque de considération, de valeur et de respect de celle qui leur a fait confiance. Car le noeud de l’histoire est cette crédulité aveugle de Johana parce que jeune, parce que confiante en les blancs et la France. A tel point qu’elle leur offre un masque avec lequel joue son frère. Ce masque si quotidien dans sa vie devient le symbole de la foi et de la punition. Il est le lien qui s’opère entre l’Afrique et la France, entre Johana et ces colons entre le visible et l’invisible.

Le film est réussi parce que la voix de la jeune femme parle à notre humanité.

R.B.E

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