avec Ayoub Greeta dans le rôle de Nour, un personnage en errance dans Marseille

avec également Anna Mouglalis et Grégoire Colin .
Un film à chapitres
Le film dure 2h et suit, de 1992 à 1998, le parcours de Nour (Noureddine), un beau jeune homme d’origine marocaine sans papiers à Marseille. Nour et ses amis vivent à 100 à l’heure et n’ont pas d’autres solutions que de fuir les descentes de flics. La bande de copains de Nour (Ayoub Greeta) c’est Fadela (Rym Foglia), Khaled (Ali Mehdi Moulai), Houcine (Omar Boulakirba) et Blandine (Sarah Henochsberg). Le film évolue ainsi de rencontre en rencontre et c’est cette narration qui donne au film son propos. Le réalisateur marocain Saïd Hamich, surtout connu pour son travail de producteur, choisit la sécurité en chapitrant son film et le structurant d’une façon classique. Nous permettant de suivre Nour et de s’accrocher à son histoire
Des primo-arrivants
Les personnages principaux de La Mer au loin nous sont de suite sympathiques. Nous adhérons à leur mode de vie festif et à leur insouciance. Nour et ses amis vivent la clandestinité à fond la caisse. Ils s’aiment, chantent, dansent et profitent de la vie. Puis ils évoluent, se séparent et se retrouvent. Ils font tous des choix pour ne pas revenir en arrière et assument leur marginalité. Nos héros sont intacts même si la vie les brûle et les éloigne de leur rêve, ils finissent par reconnaître leur mauvais choix, mais avaient-ils réellement d’autres possibilités ? Pour la première fois un film nous plonge dans une immigration à plusieurs visages, nous nous attachons à Nour et sa bande tout en les voyant se rapprocher des immigrés installés depuis longtemps et avec qui ils tentent de s’unir par mariage pour des papiers. La scène du fou-rire d’une jeune femme que Khaled, ivre, vient avec la bande d’amis demander sa main, nous montre le décalage que le réalisateur a besoin de pointer du doigt de sa caméra. La jeune femme éclate de rire et Khaled le clando (comme elle dit) bourré, vomit dans les toilettes de celle qu’il veut épouser. Ce sont ces scènes qui montrent le grand décalage instauré par le réalisateur. Les français d’origine maghrébine sont montrés comme étant conservateurs alors que Nour et ses amis comme des marginaux et des personnes qui sont loin des traditions de leur pays d’origine.
Serge Le flic et les autres
La police pour une fois succombe aux charmes d’un arabe. Nour a de la chance de plaire à Serge qui fréquente les cabarets, bars d’arabes et de travelos. Ce Serge ressemble aux personnes des films de Karim Dridi. La différence est que le personnage est bien différent du stéréotype du flic raciste. Il tente au début de l’arrestation de Nour d’être ce flic qui enquête sur les clandestins et puis vite il se prend d’amour pour Nour. Il est étonnant de montrer un policier qui ait aussi ses failles et ses contradictions. Car tout le destin de Nour en dépend. L’amour remplace vite l’urgence et la débrouille. Nour a de la chance, il s’en sort grâce à Serge puis à sa femme.
L’amour finalement
La mer au loin est un film d’amour où les personnages doivent choisir leur chemin en laissant des personnes derrière eux parce qu’ils n’ont pas d’autres possibilités. Nour et ses amis veulent tenter leur chance ailleurs et s’éloigner définitivement de ceux pour qui ils doivent continuer de porter un masque. Nour tente bien de revenir vers sa famille à Oujda une fois la nationalité acquise mais il est trop tard. Il est impossible de revenir en arrière. Houcine finit par ne plus parler à sa femme et ses filles restées au pays, car l’exil est un aller simple. Plus rien n’est pareil !
La symbolique des papiers
La scène dans le commissariat où Serge décide d’aider Nour pour pour la seconde fois nous interroge sur qu’est-ce que l’identité. Nour, quand il se fait arrêter la première fois, se fait passer pour un portugais et quand Serge le coince pour la deuxième fois avec un passeport marocain, Il décide de le sauver et de ne pas le renvoyer au Maroc en brûlant son passeport marocain sous les yeux hébétés de Nour. Plus tard, Nour a acquis la nationalité française, un jour il est soul et en colère et il veut reproduire ce geste de brûler son passeport, mais il en est empêché. On comprend que Nour est prisonnier de cet exil : son identité a bien été brûlée alors que son passeport français ne peut l’être.
La désillusion ou le spleen de l’exilé
Tout le long du film domine une atmosphère de spleen où la débrouille, l’incompréhension puis la dépendance piègent les personnages dans un entre deux en permanence. Ils basculent dans la légalité et perdent alors leur liberté et c’est ce qui les plongent dans la désillusion. Tous les personnages naviguent dans leur vie sans pouvoir correspondre à ce qu’on attend d’eux. Si Nour déplait à sa famille parce que libre, Serge déplaît à son père et ses frères pour les mêmes raisons. Et c’est ce parallèle finalement qui marche. Sauf que le choix de Serge étonne et choque Nour. Ils ne peuvent qu’être amis sans que Nour n’adhère à la marginalité sexuelle de son ami. Nour, de retour au pays, voit bien qu’il est dépassé par ce qu’on attend de lui. Ce parallèle est à peine suggéré alors qu’il est essentiel dans le lien entre les deux personnages.
La musique accompagne l’exil, elle est là du début à la fin. Les personnages vivent une vie festive et à chaque chapitre nous découvrons une nouvelle chanson. Le réalisateur inscrit cette histoire dans les années 90, période de la décennie noire en Algérie et où tout le Maghreb va être touché d’une manière ou d’une autre. La musique raï accompagne Nour et ses amis dans leur évolution et c’est en regardant la télé que Nour apprend l’assassinat de Cheb Hasni. C’est bien plus tard que nous apprenons que Nour est musicien et que son rêve était de percer à Marseille. La voix de Cheb Hasni et celle d’autres grands de la chanson raï des années 90, s’écoute et guide la vie des personnages dans la mélancolie, la joie et la peine.
R.B.E
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